Les dimensions humanistes et spirituelles de l'islam

Publié le par Tahar Absi


Les dimensions humanistes et spirituelles de l'islam

Tahar ABSI Professeur
Université d’Alger.
Algérie


Introduction.

La vie religieuse en Arabie:
1 - Avant l'islam
2 - Après l'islam

L'islam au-delà des frontières de l’Arabie:
1 - Le phénomène d’acculturation
2 - Les changements au sein de l'Islam.

Conclusion





Introduction
Le sujet de l'origine des dimensions humaines et spirituelles de l'islam soulève beaucoup de questions, en particulier celle des relations entre l'islam et les autres religions, ou d'une manière plus générale des autres cultures.
Je ne discuterai pas ici de l'authenticité des livres saints, car ce qui nous intéresse dépasse de loin les discussions qui ont conduit à des polémiques gratuites.
Donc nous dépassons à la fois l'assurance avec laquelle les musulmans accusent les juifs et les chrétiens d'avoir altéré leurs écritures, et les objections soulevées concernant les versets supprimés et la façon dont le texte coranique est présenté. Pour nous, il est contraire à tout esprit scientifique d'affirmer sans preuve qu'il y a eu imposture ou falsification. Pour un algérien musulman, berbérophone ou arabophone, l'islam est une règle de vie qui est marquée par une série d'obligations. Pour nous, le Coran est une loi révélée qui doit être acceptée sans se poser de question. Il faut se soumettre à la volonté de Dieu en dehors de toute explication rationnelle ou irrationnelle. Donc la religion vient de Dieu qui fait ce qu'il veut et dont la volonté n'a pas à être sondée.
Nous devons nous contenter de cette discipline qui ne débouche sur aucune réflexion, sur aucun mysticisme doctrinaire, en dehors des Zaouias qui dispensent un enseignement coranique et une manière de vivre l'islam.
Nous ne connaissons ni les mou'tazilites qui refusent de croire que le Coran est incréé, ni la manière dont les abbassides avaient imposé le dogme du Coran créé, ni la position d'El Achari qui pensait que l'épithète d'incréé s'applique au prototype céleste du Coran, à la "mère "du Livre ( أم الكتاب) conservée sur la tablette bien gardée (اللوح المحفوظ), dont le Coran, la Bible et l'Evangile sont des traductions en langage humain.
Ce que nous avons entendu de la bouche de nos imams ne dépasse pas des expressions mille fois répétées : Dieu est le tout puissant, rien ne lui ressemble, son essence ne peut être saisie. Il a créé le monde de rien et le monde périra, tout périra sauf sa face. Il a fait naître l'homme, le fera mourir et le ressuscitera une autre fois. Au son de la trompette, les morts surgiront et seront jugés, les méchants et les incrédules seront jetés dans la Géhenne (جهنم) Enfin, il est plein de miséricorde et ceux qui se présentent le coeur contrit, il leur dira d'entrer au paradis en paix.
Pour ma part, enfant, j'ai vécu dans cette atmosphère, baigné quotidiennement dans ce bain sonore, sans aucune possibilité de poser des questions, ni d'accéder à d'autres connaissances. Nous recevions de temps à autre dans notre village des "sœurs blanches", Nous admirions la propreté de leurs vêtements, leur simplicité, leur dévouement. En un mot c'était un évènement pour les gens du village, en particulier les enfants. L'école française nous apprenait à lire et à écrire, mais rien sur la religion musulmane, ni sur les autres religions.
Les responsables des partis politiques nous parlaient de la civilisation musulmane, de Marx, de la franc-maçonnerie, du capitalisme... Ces concepts ont plus ou moins germé dans notre esprit au point de nous inciter à nous cultiver, à lire et à découvrir. Cette curiosité nous à poussés à comprendre par nous même, la notion de religions, leur apparition, quand, comment, pourquoi, les différents dogmes, les rites, les discussions, l'historique de chacune, leur évolution.

La vie religieuse en Arabie

Avant l'islam

Nous savons déjà que l'islam est apparu à La Mecque. Nous connaissons succinctement la vie du prophète. On disait de lui qu'il écoutait l'avis des autres, qu'il admettait ses fautes, les corrigeait, qu'il était pauvre et orphelin, qu'il avait été soumis dès l'enfance à différentes épreuves, qu'il avait uni les tribus arabes sauvages, qu'il parlait un arabe différent qui étonnait les autres arabes, qu'il était inimitable, mais rien sur la vie en Arabie, sur ses relations avec les autres religions, sur sa religion avant l'islam. L'Arabie était païenne, livrée à elle-même, où le plus fort agressait le plus faible. En un mot c'était l'anarchie.
A la lecture des livres d'histoire autre que l'histoire orale enseignée, nous découvrons le contraire. L'Arabie n'était ni sauvage, ni isolée des autres peuples, ni vide de spiritualité. L'Arabie avait des relations avec les pays voisins. La religion chrétienne était largement répandue, c'était la religion des habitants du Nedjrane, des غساسنة. Le désert était habité par des moines répartis dans des lieux de culte chrétiens. Il y avait des chrétiens à La Mecque, comme Djaber qui était l'ami du prophète et son enseignant, ابن نوفلnotable de La
Mecque, était chrétien, et était proche parent de Khadidja, épouse du prophète. Abdullah جحش ابن était chrétien,ابو سفيان était mazdéen ( مجوسي), sans oublier l'apport d'Abraham à la région. La Kaaba ( الكعبة ) n'était qu'un lieu de prière qui existait avant l'islam. Un état juif a vu le jour au Yémen. Les hanafites, qui regroupaient des croyants mystiques arabes du temps du prophète, étaient des chrétiens. A l'intérieur de La Mecque, à côté des statues de chaque enfant d'Abraham, se trouvaient des figures de Marie et de Jésus. L'histoire rapporte que ابي ذرالغفاري ,connu pour sa probité, était un hanafite, avant sa conversion à l'islam. Les croyants optaient pour l'habit de laine et ne mangeaient pas certains aliments.
جرود ابن المجلي était chrétien et très proche du prophète, comme قيس ابن السعادة ,que le prophète décrivait comme un croyant qui priait comme priait Jésus.
Le prophète était donc croyant avant la révélation. Il appartenait au groupe des ascètes et des priants.
La question qui se pose donc, est la suivante : existe-t-il une relation entre l'islam et les autres religions ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord admettre la sympathie que le prophète éprouvait à l'égard de la religion chrétienne. En effet celle-ci annonce bien la venue du prophète prédit par Jésus sous le nom de Paraclet, dont l'équivalent dans le Coran est : Ahmed, autre forme de Mohammed. De même, bien des légendes présentent le prophète encore jeune, vu lors d'un voyage en Syrie par le chrétien Bahira. Celui-ci avait reconnu en lui le signe de la prophétie et recommandait à ses compagnons de veiller sur lui.
La femme du prophète, avertie par Bahira, reconnaît la prophétie de son mari. Certains pensent que Bahira appartenait à la secte hanafite. Les musulmans ont une grande admiration pour Bahira.
Il existe aussi une étroite relation entre les doctrines musulmane et chrétienne sur des sujets comme le royaume de Dieu, la résurrection, la venue du messie, la fin du monde, les rites, les dogmes. Dans le Coran on lit:"Jésus, fils de Marie a dit:' 0 israélites, je suis celui que Dieu envoie vers vous, pour vous confirmer le pentateuque que vous avez reçu avant moi, et pour annoncer la bonne nouvelle qu'un prophète viendra après moi, qui s'appelle Ahmed"'. Le paraclet, en effet tel que le désigne l'Evangile de st Jean doit mettre le sceau de la religion du Christ, et sa venue ne peut que coïncider avec la fin du monde.

Après l'islam

Comment s'est manifestée la révélation au prophète Mohamed ? Beaucoup d'historiens pensent que, dans la révélation, le rêve a joué un rôle important. A cela s'ajoute le climat du désert et le désir de se retirer, éléments suffisamment forts pour développer l'imagination et la perception.
Les arabes avaient l'habitude de se retirer dans des grottes pour rechercher la paix et méditer, un moyen pour se ressourcer et se purifier. Le prophète allait donc à Hira (حراء) comme tous les Quraychites, chrétiens et autres. Sans entrer dans les détails, le prophète, recevant les sourates composées de versets, allait propager son message et entrer directement en conflit avec les Quraychites, paganistes et autres.
De La Mecque à Médine, de Médine à La Mecque, le prophète allait vaincre l'inertie ambiante, gouverner les tribus arabes. Peut-être espérait-il gouverner le monde, comme le confirment les lettres qu'il avait envoyées aux souverains des pays voisins. Voici le contenu d'une lettre adressée à Benjamain, souverain copte d'Egypte :"Viens à l'islam qui est la religion définitive. Moïse a prophétisé Jésus, Jésus a prophétisé Mohammed. Nous t'invitons à croire au Coran, comme toi-même, tu invites les gens de la Bible à croire à l'Evangile. Ce n'est pas t'interdire la religion du Christ, bien au contraire, c'est t'y conformer étroitement".
Patiemment, avec obstination, il a pu concilier la prophétie, à la façon de ses prédécesseurs en Israël, aux talents de chef politique, de militaire, d'organisateur.
C'est à la mort du prophète que les vrais problèmes allaient se poser, car il était le dernier des prophètes choisis par Dieu. Dans le Coran, ne se trouve aucun énoncé politique, aucune règle d'application au pouvoir temporel. De là découle la première conséquence qui a dominé l'histoire musulmane. Deux partis politiques s'étaient formés, l'un qui déclarait que l' Iman a été désigné par le prophète, et l'autre qui déclarait que cette question est indifférente à la religion et doit être traitée d'une manière laïque. Dans le premier parti, on retrouve tous les mécontents, les utopistes, les révolutionnaires. Il s'est formé autour de ce principe, des croyances mystiques. Ces sectaires, ou Chiites, donnent une réponse aux questions suivantes :
1- pourquoi le Coran, qui règle par des détails souvent très minutieux, les moeurs, le droit, le statut familial, ne parle-t-il pas de l'organisation politique ?
2- Pourquoi le prophète aurait-il négligé de traiter cette question et d'assurer la transmission d'un pouvoir qu'il tenait de sa qualité de prophète et que nul après lui ne pouvait tenir de lui ?
La solution est donc : il faut qu'un Imam soit reconnu par une qualité de même ordre, c'est-à-dire par une désignation d'origine prophétique. D'où la nécessité de désigner un imam qui ne peut être que de la famille du prophète, donc le jeune Ali. En effet pour eux, cette famille jouit d'une bénédiction spéciale, elle possède l'autorité pour conserver la souveraineté et éviter les résistances qui avaient engendré l'anarchie.
De là découlent des problèmes insolubles qui sont à l'origine des conflits qui perdurent jusqu'à nos jours. Avec la venue de Omar ابن خطاب ,les musulmans se ruèrent sur les pays voisins, en particulier, la Syrie, l'Irak, l'Egypte et la Perse. Ils devinrent du jour au lendemain, riches et prospères, avec un désir de vivre dans l'abondance et d'étendre le nouvel empire. Ces musulmans oublièrent vite les valeurs fondamentales de l'islam, et ne se soucièrent que de leur bien-être. Les autochtones devinrent des موالي, par comparaison avec les arabes porteurs du message coranique, mais considérés comme "vainqueurs". C'est la politique du vainqueur et du vaincu. Omar allait choisir des gouverneurs de la famille desبني امية islamisés à la dernière minute. L'islam allait devenir pour eux un moyen d'étendre leur politique d'occupation, de renforcer leur pouvoir et de donner à cet empire un caractère monarchique. Les oppositions allaient se multiplier mais le dernier mot restait au pouvoir qui pourchassait même les compagnons du prophète.

L'assassinat de Omar, d'Uthman, de Ali et de beaucoup d'autres allait laisser des séquelles, impossibles à effacer. De là découlent des conflits politiques et religieux, et l'émergence de différentes doctrines religieuses et philosophiques qui cherchent à insuffler un peu d'humanisme et de spiritualité. Je crois que le christianisme a joué un rôle important dans la formation de cet esprit, et la préparation d'une assise à la fois mystique et rationnelle, pour rapprocher l'homme de Dieu et lui faire découvrir à la fois sa faiblesse, ses défaillances mais aussi le besoin de s'inspirer directement de valeurs absolues.

L'islam au-delà des frontières de l’Arabie

Le phénomène d'acculturation

L'islam se trouve au-delà des frontières d'Arabie soumis au phénomène d'acculturation. Il échappe totalement à l'influence arabo-arabe de l'époque du prophète, même si, comme nous venons de le dire, l'apport des religions à l'épanouissement de l'islam est fondamentalement reconnu. En effet les habitants des nouveaux territoires étaient de confessions diverses. Il y avait des juifs, des chrétiens, des mazdéens, des manichéens, des philosophes, des païens. Convertir tous ces gens à l'islam parait facile, mais les soustraire à l'influence de leur culture est autre chose. Le Coran qui était admis sans discussion par les arabes, de gré ou de force (voir par exemple le phénomène d'apostasie et le sort réservé à la tribu des Bani Hanifa par Abou Baker lorsque celle-ci voulut rompre le contrat en refusant de payer l'impôt légal).

Les changements au sein de l'islam

Dans les nouveaux pays, les arabes devaient donc faire face à d'autres cultures et à une autre manière de concevoir la relation avec Dieu. Au contact des moines bouddhistes, chrétiens, mazdéens, manichéens, ils devaient revoir surtout leur manière de concevoir leur relation avec Dieu.
Soumis à une réflexion à la fois humaniste (néoplatonicienne), et spirituelle ( la vie religieuse dans les autres communautés), les musulmans devaient apprendre à vivre d'une autre manière, soit en s'aidant des versets du Coran, soit en les interprétant pour paraître conformes au nouveau climat.
Ainsi naquit la réflexion autour du Coran et de l'interprétation à donner aux versets. Ceci impliquait inévitablement la formation d'écoles différentes et l'apparition de sectes et de doctrines.
Au contact des moines on apprenait à craindre Dieu, et vivre autrement que les proches des gouverneurs et des dirigeants, à refuser cette abondance. Certains croyants, commeابن أشيم , étaient en contact avec les moines, séjournaient dans des lieux de culte chrétiens. Ils adoptaient leur manière de s'habiller, de boire, de manger, de méditer.
معاذة العدوية citée par الجاحظ,écrivain connu, et considérée comme une des femmes les plus pieuses, a été parmi les premières à chanter l'amour de Dieu et à passer ainsi de la crainte à l'amour. D'autres, à l'image deابن أشيم et مطرف ابن عبد الله ابن الشخير adoptèrent la tenue des moines, leur comportement, en vivant avec les pauvres, en cherchant comment éviter le mal, faire le bien. A ces questions ils répondaient : être d'accord avec sa conscience, et purifier son coeur en aimant Dieu.
Hassan el Basri était l'homme le plus connu parmi les ascètes. Il naquit vers l'an 21 de l'Hégire à Médine d'un père perse chrétien fait prisonnier par les arabes, et d'une mère esclave, tous deux affranchis. Par la suite, il fut très influencé par sa mère exactement comme le fut saint Augustin trois siècles avant. Emigré à Basra, il supporta mal le climat politique et la vie de luxe que menaient les gens sans se soucier ni de Dieu ni de leur âme. Il s'éloigna de cette atmosphère et s'adonna à la méditation, à la vie mystique en optant comme les autres croyants, pour la simplicité et la recherche de la vérité. Il parlait de Jésus et le décrivait comme un être chaleureux, qui accepte la faim, qui craint Dieu, qui porte l'habit de laine à l'image de Salomon. Il choisit à son tour, cette tenue en ajoutant un turban noir. Il s'interdisait de rire devant ce spectacle déplorable de la société, et opta pour le deuil et les larmes. "Méfie-toi de la vie qui s'embellit pour te détruire. Fils d'Adam, tu n'es qu'une ombre, chaque jour qui passe est une partie de toi-même qui s'en va".
Il parlait de la science qui renforce la volonté de l'esprit, de la science des soufis qui fait revivre les cœurs. Il cherchait à entrer en contact avec les cœurs pour découvrir le secret de la foi. "Observe tes actes avant d'observer les actes d'autrui et apprends à découvrir tes insuffisances". Hassan el Basri est considéré comme le père spirituel d'El Ghazali, d'El Halladj, d'Ibn El Arabi. Il souffrait de voir les compagnons du prophète s'enrichir tout en permettant aux gouverneurs de vivre d'une manière indécente et de commettre des injustices. On rapporte que lorsque Omar demanda à son esclave chrétien de devenir musulman, celui-ci refusa et il l'affranchit aussitôt. Ce qui différencie les mystiques musulmans des mystiques chrétiens réside spécifiquement dans le mariage. Mais on rapporte queعمر ابن عبد الله قيس s'était abstenu de se marier et queسليمان الداراني glorifiait le célibat. Beaucoup d'arabes chrétiens originaires d'Arabie furent expulsés du jour au lendemain de Nedjrane, par Omar, pour éviter qu'une autre religion rivalise avec l'Islam, alors que le prophète, de son vivant, avait reçu une délégation de chrétiens arabes de Nedjrane. Ali Samiالنشار rapporte qu'il existe une intime relation entre le contenu de l'Evangile et certains hadiths Ceci pour confirmer que le Coran atteste ouvertement la valeur de la Bible et de l'Evangile et que les mœurs de certains arabes étaient chrétiennes. Il existait à l'apparition de l'Islam, la maison des célibataires que l'on appelaitبيت العزاب où les gens écoutaient les paroles de saint Basile.
L'influence du Christianisme est apparue avec force chez El Halladj etفرقد ابن عبد الله السبخي grands adeptes de Hassan el Basri. Ce dernier d'origine araméenne possédait une culture religieuse immense et n'hésitait pas à formuler les valeurs chrétiennes sous forme de hadith, tout en se référant à la Bible ou à l'Evangile. Devant le faste de Basra, il demandait aux gens d' éviter les défauts de l'époque comme l'orgueil, la gourmandise, l'excès en tout, en particulier le sommeil et le repos, l'amour de l'argent, la jouissance sexuelle et surtout la recherche du pouvoir. Il refusait de fréquenter les riches. Beaucoup d'autres commeحبيب العجمي أو الفارسي s'étaient joints au mouvement pour dénoncer les abus et les fortunes mal acquises. Il s'est lui-même débarrassé de la sienne en venant au secours des pauvres. Au passage d'un émir, il avait assisté du temps de El Halladj, à une scène où l'agent de la force publique avait maltraité une femme. Il demanda à Dieu de venger cette injustice en coupant la main de cet agresseur. Quelques jours plus tard, l'agent fut accusé de vol et on lui coupa la main.
Les gens découvraient avec regret l'état de corruption, de richesses mal acquises qui régnait dans les pays, sous l'autorité des musulmans. Les cris de révolte deمالك ابن دينار,de محمد ابن واسع de ثابت البناني et de صالح المري , réclamaient la nécessité de se ressaisir, de se racheter par les larmes, par le repentir, par le deuil, pour que la société retrouve son équilibre et abandonne les comportements dépourvus de toute moralité.
Pour renforcer leur position, les mystiques musulmans se mirent à l'oeuvre en puisant directement dans le Coran et la vie du prophète. Ils rappelaient aux gens la nécessité de croire en Dieu et au jour du surcroîtيوم المزيد .Dieu a plus que le Paradis, Dieu conduira les vrais croyants hors du Paradis, comme le chanteذي النون البصري . Les mystiques insistent sur certains aspects de l'expérience du prophète, sa pauvreté initiale, la soif du divin qu'il éprouvait en s'isolant, sa rencontre avec l'ange Gabriel, ses jeûnes, ses prières, son voyage nocturne de La Mecque à la Mosquée très lointaine, et de là au Ciel. Il s'approcha de la divinité à deux arcs au moins,قاب قوسين أو ادنى .Il l'a vu prés du Lotus de la limite,سدرة المنتهى Cette ascension allait devenir pour les mystiques, un modèle de leur propre expérience extatique. Leقاب قوسين أو ادنى est le maximum de ce qu'un homme peut atteindre.
Toute cette démarche avait pour objectif d'aider l'individu à se dominer, à donner la primauté de l'intention sur l'acte et mettre l'accent sur la pureté intérieure, la contrition et l'amour de Dieu. La morale consiste à renoncer aux biens de ce monde, car leur usage détourne de l'amour de l'autre monde. On prédisait l'imminence de la mort, du jugement dernier et de l'examen de conscience. Ce désir de pousser l'homme à se ressaisir ne consistait pas à renoncer au juste gain légitime. Il n'était pas question de repousser l'argent mais de se contenter de l'indispensable. Il faut donc appeler les autres à Dieu, pour les faire bénéficier de l'expérience de son intimité avec Dieu
Ainsi, si la loi islamique considère un certain nombre d'aliments comme impurs, les mystiques en ajoutent d'autres qui sont d'un usage courant chez les chrétiens :
- Toute nourriture acquises de façon illicite
- Ce qui est acheté avec l'argent gagné dans les jeux de hasard, par la rapine, le mensonge.
- On ne mange pas ce qui n'a pas été donné de bon cœur.
- On considère comme impur tout ce qui vient des puissants de ce monde, parce que leurs biens sont acquis de façon illicite, que leur pouvoir est usurpé, et qu'ils sont des tyrans.
S'ajoutent à cette liste, des commandements qui portent sur la pureté et la gnose. Le manquement à la pureté éloigne l'homme de Dieu, le refus de la science profane débouche sur laمعرفة la gnose des réalités ultimes, les حقائق .


Ce mysticisme dérangeant allait déclancher la fureur des gens au pouvoir pour s'abattre enfin sur le grand mystique El Halladj, de son vrai nomحامد ابن عبد الله الحلاج . Ce célèbre mystique fut condamné à mort à Bagdad pour ses prétentions à la divinité. Il s'écriait en extase :انا الحق je suis la vérité.
El Halladj enseignait l'incarnation de l'esprit saint dans l'âme purifiée du mystique dont les actions devenaient des actions divines. Celui qui dompte son âme par l'obéissance et s'abstient de donner libre cours aux jouissances et aux passions, s'élève au rang des "très proches". Il ne cesse alors de se purifier et traverse les degrés de purification jusqu'à ce qu'il soit dépouillé de sa nature humaine. Lorsque rien d'humain n'est resté en lui, alors s'infuse en lui l'Esprit de Dieu qui s'était infusé en Jésus, fils de Marie. Il ne désire plus rien d'autres que ce que Dieu a voulu et toutes ses actions sont des actions de Dieu très haut ( Baghdadi:القرق بين الفرق p 158). Les Soufis qui l'avaient renié de son vivant ne tardèrent pas à le prendre pour exemple du plus parfait, du pur amour.
Cette influence se retrouve dans le soufisme, dans la hiérarchie des saints invisibles. Il existe desأولياء , amis de Dieu qui se distinguent de la masse des hommes par des charismes spéciaux. Ils se consacrent à leur perfectionnement intérieur.
Le Wali se retrouve aussi chez les Chiites qui considèrent l'Imam comme un véritable Wali. Guidés par l'inspiration divine, ils interprètent le Coran et en révèlent le sens caché. Un hadith dit: "A Mohammed revient la révélation, à Ali son sens ésotérique et à l'Imam une vie retirée." L'Imam représente donc le pôle القطب qui se trouve à la tête de la hiérarchie.
Lorsque leقطب meurt, il est remplacé par le wali qui occupe l'échelon le plus élevé. Cette hiérarchie se retrouve aussi chez les soufis qui se considèrent desأولياء , et on distingue un wali qui est arrivé au but, qui ne s'occupe pas de la formation des autres et unوالي مولي qui s'occupe des progrès des autres. On discute du sceau desأولياء dont l'avènement est considéré comme futur. Ce sceau est identifié avec le Mahdi dont l'avènement est attendu pour la fin des temps.
Le Chiisme et le Soufisme permettent donc aux croyants de vivre à l'intérieur du groupe, une vie religieuse plus intense que celle de la masse des croyants, exactement à l'image de la communauté chrétienne.
Soumis à la réflexion les musulmans découvrent dans l'islam un certain nombre d'apories comme le problème de la prédestination, du libre arbitre, de la responsabilité de l'homme. Les différentes écoles islamiques adoptent des solutions différentes. Les ascètes affirment la crainte du jugement dernier, les mou'tazilites soulignent le libre arbitre humain, car la justice absolue de Dieu ne peut faire ce qui est injuste, mais la volonté de Dieu intervient pour évaluer ses actes...Ceci pour ne citer que ces deux tendances.


On discute donc pour savoir qui est le véritable héritier du prophète : leعالم , l'Imam, ou le Cheikh soufi. Chaque parti affirmait que c'était à lui que s'applique le Hadith :" les oulémas de ma communauté sont comme les prophètes des fils d'Israël, et lés oulémas sont les héritiers des prophètes". Les Chiites et même les Soufis pensent que les oulémas peuvent se tromper et les versets coraniques sont souvent ambigus, il faut donc un guide infaillible, un wali.
On a demandé àابن يزيد البسطامي : les hommes disent que la profession de foi: "il n'y a de Dieu sauf Dieu" est la clef du Paradis. Il répondit :" oui, ils disent la vérité, mais une clef sans serrure n'ouvre rien, et les serrures de 'il n'y a de Dieu sauf Dieu' sont au nombre de quatre :
- une langue pure du mensonge et de la distraction,
- un cœur pur de ruse et de trahison,
- un ventre pur de toute nourriture illicite ou douteuse,
-des actions pures de passion et d'innovation.
C'est tout le problème des rapports entre l'existence de Dieu et celle de ses créatures, qui est posé, et il faut distinguer entre l'être, l'essence et l'existence, vus sous l'angle de l'être nécessaire et de l'être possible. C'est toute la conception de El Halladj que l'on découvre et que l'on cherche à expliquer. Le désir de rencontrer Dieuالوجود , et que monوجود disparaisse devantالوجود , par la contemplation الشهود qui m'apparaît. Leتواجد est le début,الوجود l'aboutissement et leوجد est l'intermédiaire entre le départ et l'aboutissement. Leتواجد exige de l'homme l'application, leوجد l'absorption, et leوجود la disparition. On contemple la mer, on entre et on se noie. Seule l'expérience mystique peut donner un sens à cette terminologie. Le "وحدة الوجود" n'est pas l'unicité de l'être seulement, mais aussi sa perception,الشهود .Parmi les figures représentatives du mysticisme, nous pouvons citer deux penseurs célèbres adeptes de Hassan el Basri et de El Halladj : El Ghazali, le perse et Ibn Arabi, l'andalous. El Ghazali était à la fois théologien, juriste, philosophe et mystique. Il comprend vite que la théologie scolastique (الكلمية) est incapable de s'opposer à la propagande fatimide qui se réfère à l'Imam. Il se démarque d'eux, en se servant des idées néoplatoniciennes dans deux ouvrages célèbres : « احياء علوم الدين » et «مشكاة القلوب » où il expose en termes clairsوحدة الوجود , qui serviront de base à Ibn Arabi. En un mot : si la source de la lumière est le soleil, la source de la lumière spirituelle est Dieu. Les deux penseurs s'étaient opposés à l'Imam infaillible et soulignent que leظاهر l'exotérique, et leباطن l'ésotérique, doivent être observés simultanément. Enfin la thèse que tout ce qui existe reflète les attributs de Dieu, est considérée comme une ouverture et une tolérance à l'égard des autres religions.
Bien avant eux, El Halladj disait qu'il ne fallait pas faire de différence entre les religions et que leur diversité marque l'unicité de leur origine et de leur but. Et Ibn Arabi ajoute que puisque toutes les créatures sont des manifestations de Dieu, les hommes ne peuvent adorer que lui, quoiqu'ils adorent. Chaque religion se trouve rattachée à des aspects plus ou moins profonds de la divinité et contient une part de vérité. Leوجود de l'être éternel lui vient de son essence, leوجود de l'être créé lui vient d'un autre. L'objectif de tous les croyants est un amour ardent de Dieu


Conclusion
L'histoire très succincte du développement de la pensée islamique prouve que chaque personne a besoin d'une autre personne pour se remettre en cause dans le cadre d'un échange fructueux. Si les autres religions ont permis aux arabes de rester en contact de la vie spirituelle, les arabes par le biais du prophète les ont intégrées, assimilées pour aboutir à la naissance de l'islam. Au contact des autres cultures, ces mêmes arabes devenus musulmans allaient apprendre à s'affranchir, en appréciant la manière dont les autres peuples conçoivent leur relation avec Dieu. A notre époque, où le politique prend le dessus sur le spirituel, où la religion est devenue pour certains, un fonds de commerce, où ils confondent leurs intérêts avec la recherche de la vérité, la piété avec l'intolérance, et où ils se trouvent ainsi loin deوحدة الوجود , qui vise l'amour profond de Dieu, nous avons besoin de nous retrouver pour parler fraternellement des problèmes de notre temps dans cette union retrouvée.












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