Comment redynamiser le dialogue interreligieux ?

Publié le par Tahar Absi


Tahar ABSI, professeur
Université d’Alger

Comment redynamiser le dialogue interreligieux ?

Introduction

Le thème choisi par Comet Info et la Fondation Konrad Adenauer, pour la soirée du 15/10/2006, s’intitule « comment redynamiser le dialogue interreligieux ? ». Je vais intégrer à ce sujet le côté psychologique ou du moins le voir sous cet angle. Je ne vais pas vous parler de l’évolution de la psychologie ni des techniques ou théories psychologiques mais de mettre en relief certains concepts qui contribuent à déterminer notre comportement comme l’inné et l’acquis, l’environnement, la formation, les stimuli, la peur, la violence, l’angoisse, les clichés, le conscient et l’inconscient, le Moi, le Nous, les frustrations, les tendances psychiques, les émotions, la paix intérieure, le bien et le mal…


Voici les points traités :


1. Ce qui caractérise l’être humain.
2. Nature et culture et leur influence sur nos comportements.
3. L’impact des clichés sur la vie de l’Homme et les relations avec l’environnement.
4. Le concept du dialogue, de liberté, de démocratie.
5. De l’obéissance à la liberté.
Conclusion


1. Ce qui caractérise l’être humain


Permettez-moi de vous parler des choses connues mais que je considère comme fondamentales pour avoir une idée sur la nature humaine.
En effet, nous sommes tous d’accord pour dire que nous appartenons à la race humaine. Cette race est dotée de moyens exceptionnels pour penser, agir et réagir, pour passer de la physique à la métaphysique et explorer notre corps et même prévoir nos comportements. Tous les êtres humains sont semblables et réagissent de la même manière à la douleur, au plaisir et aux différents stimuli internes et externes. Chacun de nous hérite donc de ses semblables le côté inné mais aussi des comportements en rapport direct avec l’environnement physique et social. Nous sommes donc aussi des êtres sociables qui vivent en société comme les autres créatures les fourmis et les abeilles.


2. Nature et culture et leur influence sur nos comportements


La psychologie du comportement atteste que nous pouvons agir sur nos comportements au point d’orienter le destin de chacun. Watson , ce psychologue américain béhavioriste disait qu’il pouvait former des voleurs, des avocats, des Hommes religieux… ; il suffit que des enfants lui soient confiés dès le jeune âge.
Watson avait probablement déduit que la société, avec ses traits culturels, réorientait les forces naturelles de l’individu surtout par l’éducation et la formation. En effet, les parents, les adultes, les enseignants ont un ascendant en bien ou en mal sur les enfants. L’éducation faite dans la peur contribue à un manque de discernement entre le vrai et le faux et prendre l’imaginaire pour de la réalité. L’histoire du laser utilisé pour tromper l’œil nous apprend beaucoup de choses sur le discernement. C’est un petit tour de magie. Devant l’inexplicable qui devient un miracle, les gens réagissent avec passion et s’ils se sentent virtuellement menacés, ils réagissent violemment.
Par le biais des adultes, la société distille des images négatives dans le cerveau des autres et contribue aussi à la naissance des maux sociaux en particulier le racisme.


3. L’impact des clichés sur la vie de l’Homme et les relations avec l’environnement


Il existe malheureusement des écrivains et des hommes d’Etats ou autres qui, consciemment ou inconsciemment, contribuent à instaurer un climat de haine et de suspicion. Tel écrivain glorifie telle race et amoindrit telle autre. Nous connaissons l’impact de ces comportements sur le génocide au Ruanda entre Toutsi et Outous, la guerre entre les Tamouls et les Cingalais au Sri Lanka, entre les différentes tribus d’Afrique surtout celles qui avaient participé au ramassage d’esclaves noirs au profit des négriers, le conflit israélo-palestinien…
En parlant de Juif et d’Arabe, Edouard DRUMONT dit du Juif « jamais fier, rampe à genou ». Il l’oppose à l’Arabe « noble et loyal, versant son sang pour la France». Pour Gustave LE BON : « L’Arabe est fier et le Juif craintif ». Mais cette image de l’Arabe fier deviendra chez les journalistes en 1967 un être retors qui abandonne ses babouches en fuyant dans le désert ? Cette incitation au mépris de l’autre devient un crime. Certains écrivains mal intentionnés deviennent dangereux pour la paix sociale car les masses illettrées peuvent devenir l’otage de ces jugements qui se transforment à la longue en vérités.
Nous devons revoir nos propres repères pour ne pas être à l’image de ces gens. En Kabylie par exemple, nous avons tendance à accuser un homme de lâcheté en le comparant au Juif ou de traître en le comparant à un converti. A vouloir rester comme donneur de leçons, on devient raciste inconsciemment.
Ces pratiques malheureuses existent aussi à l’égard de toute confession et de toute race. C’est une ségrégation sociale qui devient ségrégation ethnique et pousse chaque groupe à s’identifier pas à la classe sociale opprimée mais à une appartenance culturelle comme la religion qui devient une composante du sang. A partir de là, ce ne sont plus les croyances qui vont s’affronter mais les gens qui se retrouvent dans l’appartenance culturelle qui s’affirment et s’affichent. La croyance devient ainsi une seconde couleur de la peau au lieu de prendre le visage et les traits d’une émotion mystique qui ne s’identifie pas au marquage de l’inné.
Ce racisme, très éloigné des valeurs religieuses, inhibe la pensée libre et encourage le développement des préjugés. On assiste donc à la tragédie d’un moi, agressé par les autres, et qui se réfugie dans un nous protégé par la tradition. C’set le nid où grandissent ces individus prisonniers des idées préconçues qui serviront de bouc émissaire pour les troubles, les révoltes et les exactions. C’est aussi le nid des intégristes où la religion devient idéologie avec sa superstructure, une science qui va expliquer le réel par la transcendance et de là se substituer à la connaissance et au pouvoir politique.


4. Le concept du dialogue, de liberté, de démocratie


C’est à ce niveau que nous pouvons intégrer le concept de dialogue et commencer à penser au changement qui se fera par le biais des valeurs humaines, morales, spirituelles communes aux religions monothéistes. Donc, il faut donner au dialogue une autre signification que l’aboutissement à un compromis et à la religion que le devoir d’obéissance. Dialoguer signifiera mobilisation pour faire triompher les valeurs universelles des religions et le concept de religion signifiera se reconnaître en Dieu par ses actes et ses paroles.
Dieu est bon, généreux, miséricordieux, clément, soyons les dignes héritiers de ces valeurs. La bonté se trouve chez les Juifs, les Chrétiens, les Musulmans. Notre créateur n’est pas un dictateur ; il nous aime, nous veut du bien et à nous d’être à son image.
C’est pour cette raison que nous devons dialoguer. Dialoguer va signifier rassemblement de nos énergies et de nos connaissances pour résoudre nos problèmes. Il implique inévitablement l’adoption d’un projet pour guider nos actions.
Nous pouvons aborder le problème du racisme véhiculé par la pensée rétrograde en contradiction avec les valeurs divines qui considèrent l’Homme comme le vicaire de Dieu sur terre.
Aborder les concepts de liberté et de démocratie, de guerre et de guerre sainte.
Comment retrouver la paix intérieure, la paix avec ses semblables dans un monde qui pousse à la haine ?
Comment venir à bout de la peur et de l’angoisse qui perturbent la vie familiale, professionnelle, sociale et poussent certains à commettre l’irréparable ; le suicide des jeunes, par exemple.
Comment expliquer aux partisans de l’immobilisme que les religions ne sont pas figées dans l’espace et dans le temps et qu’elles possèdent des capacités d’adaptation extraordinaires car Dieu, qui s’adresse à notre cœur et à notre raison, n’est pas étranger à l’évolution de l’Homme.
Le sens des mots, compris d’une certaine manière à une époque donnée, peut changer et évoluer avec le temps. Le mot « liberté » a connu des changements et des adaptations extraordinaires.


5. De l’obéissance à la liberté


Nous pouvons aussi méditer le sens du mot « démocratie » et voir s’il s’adapte à la vie moderne. En effet, le mot « démocratie » a inventé une législation qui regroupe toutes les communautés y compris les agnostiques. Chaque citoyen, en fonction de ses compétences, abstraction faite de sa croyance, peut devenir gouverneur ou chef d’Etat.
C’est le chemin qui conduit vers la liberté où l’Homme, nourri des valeurs morales universelles, prend conscience de ses responsabilités.
C’est un bon moyen d’évacuer la peur de l’autre et l’angoisse qui dérivent des différentes frustrations. La psychologie rattache la religion à la spiritualité. Elle la considère comme la sublimation des tendances psychiques en émotion métaphysique. Ainsi le croyant, intègre les valeurs morales à sa vie. C’est la conception du dialogue fondé plus sur le cœur que sur la raison.


Conclusion


L’Algérie a connu les bienfaits de la spiritualité à une époque donnée à travers les efforts consentis par des croyants algériens de confession juive, chrétienne et musulmane. Il s’agit d’Ephraim Enkawa de Tlemcen, de Saint Augustin et de l’Emir Abdelkader. Mon article, paru le 22/10/2005 dans le journal El Watan, traite de ce sujet . Notre histoire nous apprend à vivre la spiritualité comme trait d’union entre les différentes croyances mais aussi comme humilité qui rayonne, éclaire notre vie et devient une source de bonheur.



Publié dans Communication

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